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« tous les patients, et chacun d’entre eux, confortent mon choix de volontariat en santé ici au Togo »

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Aline s’est engagée en tant que volontaire, avec son mari. Au Togo, ils sont partis avec leurs trois filles. En qualité de médecin généraliste, elle nous fait part de ses observation du système de santé togolais, ce qui diffère de la médecine française, la relation médecin-patient…

Comment décrire la situation actuelle de la santé au Togo ?

C’est difficile de juger du système de santé d’un pays après seulement trois mois, mais voici ce que j’ai observé depuis mon arrivée. L’accès aux soins pour les togolais souffre de deux manques principaux. Insuffisance de personnel médical qualifié tout d’abord, avec moins de 5 médecins généralistes pour 100 000 habitants (contre 149 en France), inégalité territoriale de santé très marquée avec concentration des équipements à Lomé (la capitale), qui en particulier concentre 4 scanners contre aucun dans tout le reste du territoire ! Le deuxième problème majeur est bien sûr le coût que représente la santé pour les togolais, quand plus de 90% d’entre eux ne sont pas couverts par une assurance de santé. Le manque de ressources conduit les patients à consulter très tard et trop tard, à ne pas faire suivre leurs maladies chroniques (hypertension, diabète), à interrompre leur traitement, à ne pas faire de dépistage (VIH, hépatites virales), à ne pas faire suivre les grossesses…

 

Selon ton expérience, comment peut-on constater un développement dans le domaine de la santé au niveau du pays à l’échelle de plusieurs années ? Selon toi, où sont les besoins prioritaires dans le domaine de la santé ?

Le développement de la santé pour tous au Togo devra forcément passer par une quantité suffisante de personnel médical et paramédical suffisamment qualifié, répartis de manière adéquate sur tout le territoire togolais. Dans l’idéal, bien sûr, il faut viser comme objectif la couverture universelle de santé, qui permettrait à tous togolais de se soigner à moindre coût.

Qu’en est-il au niveau local et de ton partenaire ?

                Le centre médical « La Source » de la communauté du Puits de Jacob a été créé justement dans le but d’amener de la qualité dans le soin des patients, non pas gratuitement, mais à un prix juste, dans l’arrière-pays togolais, mal desservi en équipement sanitaire de qualité. La vision de la qualité des soins portée par les fondateurs du centre (une aumônerie d’étudiants en médecine qui se sont regroupés autour d’un prêtre jésuite dans les années 70), c’est d’abord de porter les diagnostics, les examens complémentaires et les traitements à un niveau le plus proche possible du niveau de la médecine en France.

C’est pour cela que le centre regroupe un laboratoire de biologie médicale réputé dans tout le pays, une radiologie (os et poumon), accueille un échographiste un jour par semaine, un cardiologue qui effectue des échographies cardiaques deux fois par semaine, un gastro-entérologue 2 semaines tous les 2 mois, permet de faire des électrocardiogrammes. C’est pour cela que le centre accueille des médecins togolais et souhaite continuer à accueillir des médecins et infirmiers européens, soit en mission courte, soit en mission de VSI, afin de porter ce niveau d’exigence. Dix ans après l’ouverture du Centre médical, l’université de Kara (à deux heures au nord de notre ville de Sokodé) nous permet enfin, depuis janvier 2021, d’accueillir des étudiants en médecine pendant leur externat (5ème année). Ainsi, au-delà des staffs matinaux, de la prise de décision concertée en bonne entente et avec bienveillance, nous pourrons également tenter de transmettre notre niveau d’exigence diagnostique et thérapeutique aux jeunes médecins togolais. Nous espérons pouvoir bientôt accueillir des internes !

Selon toi, quel est l’apport du volontariat dans le domaine de la santé ?

En ce qui concerne mon expérience, j’essaie de partager deux aspects de ma pratique très peu répandus ici. La première est la gestion de l’incertitude.

C’est très inhabituel, ici, un médecin qui interroge sa pratique devant le malade et ses pairs.

Dans l’esprit des togolais, comme cela l’a été chez nous il y a encore quelques dizaines d’années, le médecin fait partie de l’élite du savoir. Il ne peut pas, ne doit pas ne pas savoir. C’est très mal vu, surtout de la part des autres soignants (infirmiers, aide-soignants). Dans les premières semaines de mon arrivée, j’ai fait un impair. Pendant le staff matinal, un de mes confrères a soutenu une affirmation qui ne me semblait pas du tout scientifique, devant les infirmiers qui semblaient boire ses paroles. J’ai tenté, avec gentillesse, de lui demander quelles étaient ses sources… J’avais fait deux erreurs monumentales : contester un confrère sur une maladie tropicale qu’il est censé beaucoup mieux connaître que moi, et en plus, devant d’autres soignants et notamment des inférieurs hiérarchiques !

Pour ma part, je suis un médecin qui parle tout haut, donc quand je alineréfléchis, je le fais à voix haute ! J’essaie, comme on me l’a appris en France, de fonder ma pratique sur ce qu’on appelle l’Evidence-Based Medecine, la médecine fondée sur les preuves scientifiques. Si je ne sais pas, je vais chercher une source scientifique fondée pour un diagnostic, ou un traitement. C’est l’autre aspect que j’essaie d’apporter dans ma pratique quotidienne. Ici, les étudiants (et probablement également certains de mes confrères) ne savent pas faire une recherche internet correcte en terme médical ; ils ne savent pas faire une bibliographie, ils ne savent pas lire une étude clinique ; ils reçoivent beaucoup les délégués médicaux et ne voient pas où est le problème ! Voilà ces deux aspects : admettre que je ne sais pas tout, et savoir rechercher la réponse à une question que me pose mon quotidien de médecin, même si c’est devant le malade pendant la consultation !

 

Que dirais-tu sur le plan de la culture des populations ou des soignants sur la question de la santé, de la relation aux soins ?

                Les patients togolais et français ne sont finalement pas aussi différents que ce à quoi je m’attendais. Ici, il y a plus de fausses croyances bien ancrées, comme le fait qu’on désinfecte une plaie en mettant un corps gras dessus (comme du beurre de karité), que les mangues donnent la gastro-entérite… Il y a aussi globalement moins de savoir sanitaire partagé : toujours désinfecter une plaie avec une compresse et un antiseptique, qu’un enfant allaité n’a pas besoin de biberon d’eau, avoir un thermomètre à la maison, savoir ce qu’est une alimentation équilibrée, faire suivre son enfant régulièrement par un médecin…

Mais globalement, comme en France, quand on informe, qu’on explique, les patients sont ravis qu’on arrête de les maintenir dans l’ignorance et de les prendre pour des idiots ! Mon mantra de consultation, ces derniers jours, c’est « Vous savez, je ne suis pas magicienne, je suis médecin ! Ce produit que je vous donne, il ne va pas être magique ! Il va mettre un peu de temps à agir, il ne va peut-être pas vous soulager complètement, mais on va se revoir et adapter tout ça au mieux pour vous, ensemble ». Le travail de la consultation est en fin de compte le même qu’en France : le principal enjeu est d’établir une alliance thérapeutique, une relation de confiance.

Comment, en tant que soignante et volontaire, joues-tu un rôle dans la sensibilisation, la prévention ? Sur quels sujets, dans quels domaines ? Quels sont les enjeux auprès de la population ? Donne des exemples concrets.

J’aime beaucoup la médecine préventive, c’est une des raisons qui m’ont fait choisir la médecine générale, et je la pratique le plus possible dans mes consultations, que ce soit en France ou au Togo. Je parle et j’explique beaucoup, comme je l’ai dit, pour « arrêter de maintenir les patients dans l’ignorance » ; j’ai un atlas de consultation imagé, sans texte, qui me permet de montrer d’où viennent les problèmes de dos, d’épaule, réexpliquer l’intérieur des organes féminins, le système urinaire et la prostate, l’intérieur du nez et de la gorge et la nécessité de moucher son enfant en bas âge… Les patients semblent vraiment ravis de ces échanges par le biais d’un support imagé, car la plupart d’entre eux n’ont pas grande notion de l’intérieur de leur corps.

promoPour tout ce qui est dépistage en revanche, le principal problème vient du coût : hépatites virales, infections sexuellement transmissibles, VIH, mammographie, frottis cervico-vaginal… Ces analyses sont très chères pour la plupart des togolais, et donc peu accessibles. J’encourage les patients à le faire au maximum, particulièrement pour leurs enfants, mais je ne veux pas les culpabiliser, quand un traitement antibiotique de base coûte l’équivalent de deux journées de travail d’un ouvrier… Le centre médical a innové cette année en proposant pendant un mois une « promotion » avec un rabais sur le dépistage des hépatites virales B et C et une première dose de vaccin… C’est un système impensable en France ! Ça a démarré lentement, mais on espère pouvoir faire ce genre d’événement deux fois par an au centre médical, qui souhaite devenir centre de référence pour le diagnostic et le traitement des hépatites virales au Togo.

J’ai aussi la chance de bientôt pouvoir participer à des émissions de radio d’information et de prévention sur des thèmes de gynécologie-obstétrique : la conception de l’enfant, les causes de l’infertilité, les fausses couches, l’allaitement etc… ça va bientôt se faire, j’ai un peu le trac ! Je vous en dirai plus « prochainement » comme on dit ici !

 

A l’inverse, en quoi ta vision, tes convictions ont-elles évoluées au contact de la culture et de la situation locale ?

Après quatre mois sur place, j’arrive beaucoup mieux à décoder la façon dont les togolais d’ici décrivent leur mal.

Je perçois mieux également les nuances vestimentaires ou langagières qui me permettent de reconnaître le statut socio-économique d’un patient, ce qui est assez indispensable puisqu’il me faut deviner sans trop demander combien la personne peut dépenser pour sa santé. Je soigne des pathologies que je ne soignerai jamais dans ma pratique de généraliste en France : annonce de VIH, neurosyphilis, même une simple décompensation cardiaque réanimatoire, Accident Vasculaire Cérébral (AVC), Covid 19 très sévère, etc… J’apprends sur le tas, en jonglant avec les recommandations, les articles médicaux, les habitudes des médecins sur place, les médicaments disponibles ici, parfois l’aide de confrères spécialistes en France. L’absence de moyens, notamment de réanimation, rend extrêmement humble sur le pronostic du patient. On fait de son mieux, le moins cher possible, le plus scientifiquement possible ! On est étonnés et admiratifs de la résistance et du courage des togolais face à la maladie.

                Pour finir, une anecdote que tu souhaiterais nous partager, une belle rencontre, une personne ou une situation qui t’a particulièrement touchée ou surprise ?

C’est difficile de choisir !  Je garderai toujours un souvenir choc de ma toute première patiente, dans le minibus qui nous a conduit à Sokodé dès notre arrivé : une petite Pélagie de 2 ans tout juste, très fiévreuse, prostrée, avec suspicion d’un paludisme grave de l’enfant dans sa forme anémique, c’est-à-dire avec une telle destruction des globules rouges par le parasite que l’enfant court un grave danger. Ca a été vraiment un choc, je me suis sentie désarmée et en même temps ça m’a permis immédiatement de savoir pourquoi j’étais là, au Togo.

Je garderai également un souvenir fort de la première consultation d’annonce d’infection par le VIH, le virus du SIDA, faite par mon confrère togolais. Il a pris son temps, s’est assuré de la confidentialité en faisant sortir la famille et en prenant un traducteur soignant dans l’équipe (au lieu d’un e personne de la famille). Il est passé par quelques détours, pour savoir ce que la patiente connaissait a priori de la maladie, l’a interrogé sur son métier, sa vie, ses enfants, avant de lui annoncer la maladie, et de lui expliquer que si elle prenait ses traitements tous les jours, come on lui dit, elle pourra vivre normalement, avoir une vie maritale et des enfants (ici au Togo, le dépistage et le traitement antirétroviral est gratuit car financé intégralement par le Fonds mondial). Cette belle consultation d’annonce, respectueuse, humaine, m’a vraiment émue.

Enfin, je garde aussi vivement à l’esprit la consultation de cette jeune fille qui présentait des « crises » étranges, pour laquelle les examens cliniques et complémentaires n’avaient rien rapporté d’anormal, et qui finalement, a réussi à m’exprimer l’abus dont elle a été victime à l’âge de 11 ans, la grossesse puis l’avortement clandestin qu’elle a du subir, et le rejet par sa famille qui en a suivi.

Ces trois patients, tous les autres, et chacun d’entre eux, confortent mon choix de volontariat en santé ici au Togo.

 

 


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